Siècle des
Lumières
Le siècle des Lumières est un mouvement
philosophique, culturel et scientifique d’intellectuels dans les pays de
culture européenne au XVIIIe siècle dont le but était de réformer la société et
de faire progresser les connaissances en encourageant la science et l’échange
intellectuel, en s’opposant à la superstition, l’intolérance et les abus de
l’Eglise et de l’Etat. Le terme de Lumières a été consacré par l'usage pour
rassembler la diversité des manifestations de cet ensemble d’objets, de
courants de pensée ou de sensibilité et d’acteurs historiques.
La glorieuse Révolution de 1688 peut en
constituer le premier jalon1, mais pour l’historiographie française, la période
charnière qui correspond à la fin du règne de Louis XIV (1643-1715) est comme
sa gestation2. La Révolution française en marque le déclin. Certains
historiens, en fonction de leur objet d'étude, privilégient une chronologie
plus ou moins large (1670-1820)3.
Pour les arts plastiques, il couvre la
transition entre les périodes classique, rococo et néoclassique, et pour la
musique, celle de la musique baroque à la musique de la période classique.
Jacques-Louis David, Antoine Laurent
Lavoisier et son épouse, 1788, Metropolitan Museum of Art, New York.
L’expression provient d’emblée de son
utilisation massive par les contemporains. Puis, le développement et
l’affirmation de l’histoire culturelle et sociale depuis les années 1970, a
favorisé l’usage d’une notion féconde qui permet de mener des recherches de
façon transversale et internationale tout en multipliant les objets d'étude et
en dépassant les cadres nationaux4.
Sommaire
1 Significations usuelles
2 Les traits dominants
3 Les combats des Lumières
4 Sciences et savants à l’âge des Lumières
5 « Des espaces publics critiques »
5.1 Les Salons
5.2 Académies et sociétés littéraires
5.3 Franc-maçonnerie et Lumières
6 Géographie des Lumières
6.1 La naissance des Etats-Unis : la quête du bonheur et le droit à la
liberté
7 Civilisation matérielle
8 La sensibilité des Lumières
9 Ferveurs nouvelles
10 Chronologie
11 Notes et références
12 Annexes
12.1 Bibliographie sélective
12.2 Articles connexes
12.3 Liens externes
Significations usuelles
Encyclopedie frontispice full.jpg
Siècle des Lumières 5? Le siècle se veut
éclairé par la lumière métaphorique des connaissances - et non pas
l’illumination divine, « émanation de
l’absolu6 », utilisé exclusivement au singulier - acquises par l’expérience et
l’enseignement du passé. Elle suggère aussi une vision manichéenne du monde, où
l’« homme éclairé » s’oppose à la masse
de ceux restés dans les ténèbres. La formule a donc bien tant une dimension
sociale qu’une dimension spatiale. Sous la plume des philosophes, les Lumières
désignent par métonymie les élites européennes ouvertes aux nouveautés, une
« République des Lettres éclairées ».
On trouve dès les années 1670, la mention
de « siècle éclairé » dans certains
écrits historiques ou philosophiques relatant les expériences et les progrès
scientifiques du temps7. L’inflexion anticléricale et combative que prend la
philosophie des Lumières dans les années 1750 devait marquer l’expression8.
Dans la France prérévolutionnaire, la formule est consacrée par les
représentants des Lumières puis par les révolutionnaires eux-mêmes9.
L’historiographie a retenu l’expression : «
Le siècle des Lumières : siècle un, profondément, mais combien divers.
La raison éclaire tous les hommes, elle est la lumière, ou plus précisément, ne
s’agissant pas d’un rayon, mais d’un faisceau, les Lumières10 ».
Les traits dominants
Frontispice des Eléments de la
philosophie de Newton, Voltaire, 1738.
Le siècle des Lumières est marqué par une
vision renouvelée et élargie du monde héritée de questionnements, parfois
angoissés, du dernier quart du XVIIe siècle. Six traits marquants d’une pensée
moderne s’y affirment et peuvent être retenus11 :
la primauté de l’esprit scientifique sur la Providence dont la
révolution newtonienne est l’illustration la plus marquante ;
la réflexion politique marquée par la théorie contractuelle, influencée
par les travaux de John Locke
les progrès de l’esprit critique à l’œuvre, pour exemple, dans le
Dictionnaire historique et critique (1697) de Pierre Bayle et la critique
lockienne des idées innées ;
une première désacralisation de la monarchie dont les Dialogues du baron
Louis de La Hontan (1710) sont l’une des manifestations ;
l’affirmation de l’idée de tolérance dans une Europe marquée par les
divisions religieuses dont l’œuvre de Lessing, Nathan le Sage est une
illustration ;
le déisme.
Ces champs de réflexion précurseurs, qui
allaient former le socle de la Philosophie des Lumières, traversent le siècle
et influencent de nombreux domaines, à l’instar de l’économie politique12.
L’idée de progrès vient couronner tous ses traits dominants et les synthétiser
dans les ouvrages de Nicolas de Condorcet - Esquisse d’un tableau historique
des progrès de l’esprit humain - ou de Louis-Sébastien Mercier - L'An 2440,
rêve s'il en fut jamais.
Les combats des Lumières
Les partisans des Lumières sont les
acteurs de nombreux combats nés de l’« usage public de sa raison dans tous les
domaines13 ». Ces causes célèbres ont permis une mise en perspective des lois
et des coutumes d’Europe, ont ainsi opéré une révolution sociologique et ouvert
la brèche à l’anthropologie politique. Le dépaysement est central dans cette
démarche et le Persan et ses avatars – l’espion chinois14, juif ou turc15 – peut
apparaître comme un symbole de cet effort de tolérance16.
Les philosophes ne se contentent pas
d’écrire. Ils se mettent aussi personnellement en cause, au risque d’être
arrêtés, emprisonnés. Diderot et D'Alembert consacrent plus de vingt ans de
leur vie à la publication de l’Encyclopédie, énorme dictionnaire de 28 volumes
de texte et de 11 volumes d’illustrations consacré à toutes les formes de la
connaissance et des sciences. Tous les écrivains et les savants du siècle
participent à la rédaction des articles de l’Encyclopédie, dont la publication
s’étend de 1751 à 1772. Accusé de propager des idées dangereuses, Diderot est
emprisonné pendant plusieurs mois. Cependant la vraie volonté de Diderot et de
tous les écrivains de l'Encyclopédie était de se battre contre ce qu'ils
appelaient l'Obscurantisme religieux. On oppose ainsi les Lumières à
l'obscurantisme, ou le manque de culture, de savoir. Les travaux du juriste
Beccaria, lui-même influencé par Montesquieu, trouvent leur retentissement dans
les affaires Calas et Sirven, où sont affirmées la nécessaire abolition de la
question et les limites du pouvoir exécutif. Le procès du chevalier de la Barre
inspire à nombre de penseurs une réflexion sur la liberté de conscience.
Sciences et savants à l’âge des Lumières
« Il est largement admis que la « science moderne » est née dans
l'Europe du XVIIe siècle, introduisant une nouvelle compréhension du monde
naturel. » Peter Barrett17. »
Présentation des membres de l’Académie
Royale des Sciences par Colbert à Louis XIV en 1667.
La France possède de nombreux philosophes
et écrivains des Lumières, notamment Montesquieu, Voltaire, Diderot,
Beaumarchais et D'Alembert.
L'époque des Lumières fut aussi celle de
Bernoulli, Euler, Laplace, Lagrange, Monge, Condorcet, D'Alembert en
mathématiques, en physique générale et en astronomie. La compréhension du
phénomène physique de l'électricité est amorcée en particulier par les travaux
de Cavendish, Coulomb et Volta. Lavoisier pose les fondements de la chimie
moderne.
Des savants naturalistes comme Linné,
Réaumur, Buffon, Jussieu, Lamarck incarnent l'esprit des Lumières dans le
domaine des sciences relevant de l'histoire naturelle dans toute son étendue.
« Des espaces publics critiques »
Gravure représentant l’Académie Des
Sciences, 1698.
A la faveur de ces évolutions
apparaissent des espaces nouveaux où se diffusent les Lumières18, entretenues
par relations privées et quelquefois par le mécénat d’Etat. L’Europe des
Lumières a ainsi ses lieux privilégiés : cénacles des grandes villes thermales,
cours des capitales européennes, chambres de lectures, théâtres, opéras,
cabinets de curiosité, salons littéraires et salons artistiques, voire salons
de physique à l’instar de celui animé par l’abbé Nollet, Académies, loges maçonniques,
cafés mondains, clubs politiques à l’anglaise. Dans ces cadres nouveaux ou
renouvelés, les gens de lettres prennent le pouvoir de la critique et font
vivre débats esthétiques, querelles littéraires, réflexions politiques19.
Gabriel Lemmonnier, Dans le Salon de
Madame Geoffrin en 1755, 1812, Château de Malmaison, Rueil.
Ces lieux où se croisent les anciennes et
les nouvelles élites, les artistes sans fortune et leurs mécènes, les agents de
l’Etat et les aventuriers, sont le creuset d’une communauté cosmopolite et
hétérogène, faite d’entre soi et d’exclusion. Ils participent à l’affirmation
d’une « sphère publique bourgeoise20 »,
faite d’affrontements et de spectacles, où se déroulent, et plus
particulièrement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les grandes affaires
et les « causes célèbres » (Mémoire
judiciaire) prérévolutionnaires. Dans ces nouveaux espaces de libertés se
manifeste un véritable engouement pour les affaires européennes et se développe
l’anglomanie.
Dans le cadre français, les Lumières
voient basculer dans les années 1750 leur centre de gravité de Versailles à
Paris qui apparaît comme la nouvelle capitale intellectuelle et artistique,
comme une capitale des Lumières. Ce brassage implique une redéfinition sociale
de l’écrivain.
Le phénomène se développe également en
province, où magistrats et érudits locaux, gagnés par les Lumières, forment une
classe sociale dirigeante aux nouvelles préoccupations21.
Les Salons
Articles détaillés : Salons littéraires
et Femmes et salons littéraires.
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Le phénomène des salons commence à la fin
du XVIIe siècle, dans un contexte prospère. On s'adonne à l'art de la
conversation, il s'agit là d'un phénomène parisien et plutôt français. Les
salons sont tenus essentiellement par des femmes, souvent issues de la
bourgeoisie et ayant des connaissances (Madame du Deffand, Madame Lambert,
Claudine Guérin de Tencin, Marie-Thérèse Geoffrin, etc.) Pour que son salon connaisse
le succès, la maîtresse du lieu doit s'attacher les services d'un philosophe
qui lance les débats. Tenir un salon est l'une des activités les plus
recherchées par les femmes, la qualité des invités témoigne de leur pouvoir
d'attraction et la réputation du salon repose sur les invités.
Les salons sont des lieux de diffusion de
la culture. La liberté d'expression apparaît, ainsi que la notion d'égalité.
Ils permettent aux encyclopédistes de faire passer leurs idées. Helvétius et
Holbach exposent leurs idées matérialistes.
C'est un lieu de culture qui demeure
mondain, en effet, le divertissement en est le but premier. On y expose ses
idées mais il n'y a pas de combat pour la vérité. Ce qui compte, c'est la bonne
compagnie, les récits amusants, il ne faut pas que les débats soient trop
sérieux, le risque serait de passer pour quelqu'un d'ennuyeux22.
Les vrais et grands philosophes se
méfient de ces endroits de diffusion, mais pas de production d'idées.
Jean-Jacques Rousseau dénonça la futilité des discussions qui s’y tenaient et
parlait de « Morale du bilboquet » pour toute personne qui s’en tenait à
l’écart23. Les salons sont des lieux de regroupement pour les philosophes,
mathématiciens, etc.
Académies et sociétés littéraires
Quoique l’histoire des académies en
France au siècle des Lumières remonte à la fondation à Caen de l’Académie de
physique de Caen, en 1662, c’est l’Académie des Sciences fondée en 1666,
étroitement liée à l’Etat français et agissant comme l’extension d’un
gouvernement en sérieux manque de scientifiques, qui a contribué à promouvoir
et à organiser de nouvelles disciplines, en formant de nouveaux scientifiques
et en contribuant à l’amélioration du statut des scientifiques sociaux qu’elle
considérait comme « les plus utiles de tous les citoyens ». Les Académies
démontrent à la fois l’intérêt croissant pour la science ainsi que sa
laïcisation accrue, comme en témoigne le petit nombre d’ecclésiastiques qui y
appartenaient (13%)24.
En dépit de l’origine bourgeoise de la
majorité des académiciens, cette institution était uniquement réservée aux
élites scientifiques, qui se voyaient en « interprètes de la science pour le
peuple ». C’est par exemple dans cet esprit que l'Académie entreprit de réfuter
le magnétisme animal, pseudo-science qui inspire alors un enthousiasme
populaire25.
L’argument le plus fort en faveur de
l’appartenance des académies à la sphère publique vient des concours qu’elles
ont parrainé dans toute la France. Comme l’a fait valoir Jeremy L. Caradonna
dans un récent article paru dans les Annales, « Prendre part au siècle des
Lumières : le concours académique et la culture intellectuelle au XVIIIe siècle
», ces concours étaient peut-être la plus publique de toutes les institutions
du siècle des Lumières. L’Académie française a remis au gout du jour une
pratique médiévale en relançant les concours publics au milieu du XVIIe siècle.
Vers 1725, le sujet des essais, de la poésie ou la peinture qui tournait jusque
là autour de la religion et/ou la monarchie, s’est radicalement élargi et
diversifié pour inclure la propagande royale, les batailles philosophiques et
les réflexions critiques sur les institutions sociales et politiques de
l’Ancien Régime. Caradonna ontre que les sujets controversés n’étaient pas
toujours évités en citant les théories de Newton et de Descartes, la traite
négrière, l’éducation des femmes, et de la justice en France comme exemples26.
L’ouverture à tous des concours et l’anonymat obligatoire des soumissions
garantissait l’impartialité du jugement eu égard au sexe et au rang social des
candidats. En dépit de l’appartenance de la « vaste majorité » des participants
aux couches les plus riches de la société (« les arts libéraux, le clergé, la
magistrature et la profession médicale »), il existe des cas de membres de la
classe populaire à avoir soumis des essais et même à les avoir remportés27.
Un nombre important de femmes ont
également participé – et remporté – des concours. Sur un total de 2 300
concours dotés de prix proposés en France, les femmes en ont remporté 49, la
majorité à des concours de poésie. Ce chiffre est certes faible par rapport aux
normes modernes, mais très important à une époque où la plupart des femmes ne
recevaient pas de formation scolaire avancée sauf, justement, dans un un genre
comme la poésie28.
En Angleterre, la Royal Society de
Londres a également joué un rôle important dans la sphère publique et la
propagation des idées des Lumières en agissant comme centre d’échange pour la
correspondance et les échanges intellectuels29 et jouant, en particulier, un
rôle important dans la propagation à travers l’Europe de la philosophie
expérimentale de Robert Boyle qui, comme l’ont fait valoir Steven Shapin et
Simon Schaffer, était « l’un des fondateurs du monde expérimental dans lequel
vivent et fonctionnent aujourd’hui les scientifiques. » La méthode de Boyle
Basée sur la connaissance sur l’expérimentation ayant besoin de témoins pour
assurer sa légitimité empirique, la Royal Society a joué un rôle avec ses
salles d’assemblée qui constituaient des endroits idéaux pour des
manifestations relativement publiques nécessaire à cet « acte collectif » de
témoignage30. Tous les témoins n’étaient pourtant pas jugés crédibles : « Les
professeurs d’Oxford étaient considérés fiables que les paysans de l’Oxfordshire.
» Deux facteurs étaient pris en compte : la connaissance d’un témoin dans la
région et la « constitution morale » du témoin. En d’autres termes, seule la
société civile était prise en considération pour le public de Boyle.
Franc-maçonnerie et Lumières
Réception dans la Loge des Mopses,
gravure de 1745.
La fondation officielle de la
franc-maçonnerie sur le continent européen remonte à 1734, avec l’ouverture
d’une loge à La Haye. La première loge pleinement fonctionnelle parait
cependant avoir existé depuis 1721 à Rotterdam. De même, des traces de la
réunion d’une loge à Paris en 1725 ou 1726 ont été retrouvées31. Comme l’écrit
Daniel Roche, en 1789, la franc-maçonnerie était particulièrement répandue en
France qui comptait alors peut-être pas moins de 100 000 francs-maçons, ce qui
en ferait la plus populaire de toutes les associations des Lumières32. La
franc-maçonnerie ne semble cependant pas avoir été confinée à l’Europe
occidentale ; Margaret Jacob en retrouvé l’existence de loges en Saxe en 1729 et
en Russie en 173133.
En dépit de ces preuves d’existence, la
contribution ou même le rôle de la franc-maçonnerie comme facteur principal
dans les Lumières a néanmoins fait récemment l’objet de débats parmi les
historiens. Certes des figures majeures des Lumières, comme Montesquieu,
Voltaire, Pope, Horace et Robert Walpole, Mozart, Goethe, Frédéric le Grand,
Benjamin Franklin et George Washington étaient francs-maçons34, mais des
historiens comme Robert Palmer Roswell ont conclu que même en France, les francs-maçons,
qui n’ont pas agi en groupe, étaient politiquement « inoffensifs voire
ridicules35 ». les historiens américains ont effectivement noté que Franklin et
Washington étaient bien actifs dans la franc-maçonnerie, mais ils ont minimisé
l’importance, à l’époque de la Révolution américaine, de ce mouvement
apolitique qui comprenait aussi bien des Patriots que des Loyalistes36.
En ce qui concerne l’influence de la
franc-maçonnerie sur le continent européen, l’historien allemand Reinhart
Koselleck a affirmé que « Sur le continent, il y avait deux structures sociales
qui ont laissé une empreinte décisive sur les Lumières : la République des
Lettres et les loges maçonniques37 », tandis que Thomas Munck, professeur à
l’université de Glasgow, a fait valoir que « bien que les francs-maçons aient
favorisés les contacts internationaux et intersociaux essentiellement
non-religieux et ce, largement en accord avec les valeurs des Lumières, on ne
peut guère les décrire comme un important réseau radical ou réformiste en
propre38. »
Les loges maçonniques anglaises et
écossaises originaires des guildes de compagnons du XVIIe siècle39, se ont
élargies à divers degrés, au XVIIIe siècle, dans un vaste ensemble
d’associations interconnectées d’hommes, et parfois de femmes. Margaret Jacob
affirme que celles-ci disposaient de leur propre mythologie et de codes de
conduite spéciaux comprenant une même compréhension des notions de liberté et
d’égalité héritées de la sociabilité des guildes : « liberté, fraternité et
égalité40 » La remarquable similitude de ces valeurs, généralement communes à
la Grande-Bretagne et au continent, avec le slogan de la Révolution française
de « Liberté, égalité, fraternité » a donné naissance à de nombreuses théories
du complot. L’abbé Barruel a notamment fait remonter les origines des Jacobins
et, partant, de la Révolution, aux francs-maçons français dans son Mémoires
pour servir à l’histoire du jacobinisme (Londres, Ph. le Boussonnier ;
Hambourg, P. Fauche 1797-98).
L’union des trois ordres de Nicolas
Perseval dépeignant la réconciliation des trois ordres à l'entrée d'un temple
maçonnique (v. 1789).
Il est probable que les loges maçonniques
ont eu un effet, hormis les théories du complot, sur la société dans son
ensemble. Giuseppe Giarrizzo a souligné le rapport étroit entre francs-maçons
et Lumières41. Jacob fait valoir que les loges maçonniques ont « reconstitué la
vie politique et instauré une forme constitutionnelle d’autonomie
gouvernementale, avec ses constitutions, ses lois, ses élections et ses
représentants ». En d’autres termes, les micro-sociétés mises en place dans les
loges ont constitué un modèle normatif pour la société dans son ensemble. Ceci
était particulièrement vrai sur le continent : lorsque les premières loges ont
commencé à apparaître dans les années 1730, leur incarnation des valeurs
britanniques a souvent été perçue comme une menace par les autorités
gouvernementales locales. Par exemple, la loge parisienne qui s’est réunie au
milieu des années 1720 se compostait d’exilés jacobites anglais42. Les
francs-maçons de toute l’Europe du XVIIIe siècle faisaient, en outre, référence
aux Lumières en général. Le rite d’initiation des loges françaises citait ainsi
explicitement les Lumières. Les loges britanniques se fixaient comme objectif
d’« initier ceux qui ne sont pas éclairés », ce qui ne représente pas
nécessairement un liens entre les loges et l’irréligion, mais ne les excluent
pas non plus à l’occasion de l’hérésie. Beaucoup de loges rendaient en fait
hommage au « Grand Architecte », le terme de la phraséologie maçonnique pour
designer le créateur divin d’un univers scientifiquement ordonné43. Daniel
Roche conteste néanmoins les revendications égalitaristes de la
franc-maçonnerie : « l’égalité réelle des loges était élitiste », n’attirant
que les personnes de milieux sociaux similaires44. Cette absence de véritable
égalité a été rendue explicite par la constitution de la loge de Lausanne en
Suisse (1741) :
« L’ordre des francs-maçons est une société de confraternité et
d’égalité représentée, à cette fin, sous l’emblème d’un niveau … un frère rend
à un autre frère l’honneur et la déférence qui lui sont dus à juste titre à
mesure de son rang dans la société civile45. »
L’élitisme a bénéficié à certains membres
de la société. La présence, par exemple, de femmes nobles dans les « loges
d’adoption » françaises qui se sont formées dans les années 1780 est due en
grande partie aux liens étroits entre ces loges et de la société
aristocratique46,47.
Géographie des Lumières
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Les Lumières se sont pensées comme un
mouvement européen, international et si le français qui a détrôné le latin
comme langue « universelle48 » semble
s’imposer comme le langage par excellence de la nouvelle « République des Lettres », l’homme des
Lumières est avant tout un « cosmopolite
», un « citoyen du monde49 » quand il
n’est pas un apatride.
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